Le coronavirus a durement frappé les habitants d’Alep

//Le coronavirus a durement frappé les habitants d’Alep

Le coronavirus a durement frappé les habitants d’Alep

Chers Amis,

cela fait un moment depuis la dernière lettre que je vous ai envoyée. J’aimerais, tout en vous souhaitant une belle fête de l’exaltation de la Sainte Croix, de vous mettre à jour sur notre vie et notre mission à Alep.

Le temps écoulé jusqu’au aujourd’hui est marquée par la crise Covid. Sur cinq frères franciscains en mission à Alep, quatre sont tombés malades. Le résultat a été désastreux puisque deux d’entre eux sont décédés et deux, après une période de traitement et de convalescence, ont récupéré. J’étais le seul à ne pas être affecté; c’était une Providence pour pouvoir prendre soin des deux frères qui sont avec moi et  pouvoir m’occuper de la paroisse et des gens.

Ce pourcentage élevé de contagion (4 sur cinq) a été observé à la fois chez les Acolytes de la paroisse et au niveau des employés de la paroisse ; dans les bureaux de Caritas paroissiale et aussi dans le couvent. Nous pouvons généraliser cela à propos de la situation de beaucoup de nos familles, qui ont déjà connu les maladies pendant une longue période, et donc la mort et la souffrance, certains plus et d’autres moins.

Nous avons été marqués par ce virus plus fortement que vous ne l’avez connu dans les pays européens et ailleurs, en raison de la précarité et du manque d’hôpitaux, de médicaments, de personnel de médecins et d’infirmières. Le manque d’experts sur le terrain et des personnes douées qui peuvent dire aux gens ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire, à travers des lois qui guident le comportement et l’action. Ce que l’État italien a imposé en Italie, concernant la fréquence et les horaires de travail, les règles de comportement dans les rues, dans les églises et sur le lieu de travail, dans notre pays il manquait de détails, alors nous, en tant qu’Église, nous avons essayé de le faire au niveau de notre communauté chrétienne.

Pour bien comprendre la situation précaire du traitement et de la prévention, il suffit de dire que depuis plusieurs jours nous avons enterré dix chrétiens par jour décédés du virus. Si nous généralisons le nombre, il s’avère qu’à Alep, habitée par 2,5 millions, il y avait 833 personnes par jour. Le nombre très élevé par rapport aux chiffres d’autres parties du monde vous donne une idée du défi auquel nous sommes confrontés dans la ville.

Personnellement, je ne m’attendais pas à cette étape de Chemin de Croix, et je n’aurais jamais imaginé la vivre, en tant que curé de la “cité des décombres” d’Alep. Je me souviens quand je venais à Alep, j’imaginais que c’était une question de missiles, de manque d’eau et de nourriture, mais je n’ai jamais pensé faire face, au-delà de tout cela, à une telle pandémie.

Imaginez, alors, si cette pandémie se joint à une chaleur extraordinaire qui continue à ce jour, avec 47 degrés de température, alors qu’il n’y a pas de diesel pour les générateurs et pas d’électricité pendant de nombreuses heures par jour! De nombreuses nuits se sont écoulées alors que peu de personnes étaient capables de dormir pour retrouver leurs forces quotidiennes et donc faire face au poids du jour suivant. Pendant la nuit, on est bouilli dans sa sueur. On se réveille plusieurs fois, si on peut dormir un peu, bouilli dans sa propre sueur. J’ai dû changer de vêtements tout mouillés de sueur pendant de nombreuses nuits.

Depuis une semaine, à cause des sanctions, il y a eu très peu de carburant dans la ville. En plus d’une ville déjà partiellement paralysée en raison du manque de travail et de la pauvreté générale, on se retrouve face à une ville complètement paralysée. Le soir, c’est impressionnant de voir des très longues files de voitures sur quelques kilomètres le long des rues, pour pouvoir les premiers – lorsque les stations de distribution de carburant s’ouvriront le matin pour distribuer le peu de leur portion journalière d’essence – remplir leurs réservoirs, et donc travailler.

Le manque de gazole a eu des répercussions très dures sur la matière première à manger: celle du pain quotidien. On voit devant les boulangeries  très longues files d’attente, des centaines de personnes les unes sur les autres, dès les premières heures du matin, pour acheter du pain.

Plusieurs personnes se sont moqués de chaque règle préventive «de distance et de masque» que nous les invitons à observer, en me disant: «Père, regarde ce qui se passe chaque jour devant les boulangeries, pour comprendre où et comment nous vivons quotidiennement. Vaut-il encore la peine de porter le masque et de parler de garder la distance? ».

En plus de tout cela, la vie devienne de plus en plus chère, d’une manière inimaginable et “irréelle”, et les gens continuent de devenir de plus en plus pauvres, avec une abime de plus en plus grande  entre le salaire (ou le revenu) et les dépenses.

Même les besoins sanitaires, en l’absence de tout type d’assurance, sont de plus en plus lourds et plus chers. Au cours de la dernière période, j’ai entendu parler de personnes, affectées par Covid, qui ont dû vendre leur logement juste pour pouvoir payer quelques jours de soins intensifs dans une clinique privée. Non seulement les médicaments, mais aussi les examens médicaux, les analyses du sang (coûtant plus de la moitié du salaire d’un employé) et même un test de coronavirus (coûtant trois fois le salaire d’un employé) sont très, très chers.

Je me souviens quand j’ai téléphoné à plusieurs reprises à plusieurs familles, dont certains membres étaient touchés par la pandémie, pour les «forcer» à se rendre à l’hôpital pour se soigner. En fait, beaucoup avaient rejeté l’idée d’être hospitalisés, à cause de leur pauvreté, en allant à la rencontre de la «sœur Mort» et seulement grâce à l’intervention de l’Église, ils sont encore en vie et se rétablissent lentement.

En plus de tout cela, nous avons plus de neuf années de guerre accumulées sur nos épaules, qui ont laissé des blessures humaines pas encore cicatrisées à tous points de vue.

Pour demain on a prévu l’ouverture des écoles dans toute la Syrie.

J’ai suivi ce qui se fait depuis quelque temps en Italie des discussions, des préparatifs et des dépenses concernant le commencement de l’année scolaire et je les compare à notre réalité: les écoles sont ouvertes, même privées, avec les structures précaires d’un pays en guerre; sans préparatifs, sans mesures préventives, avec un petit nombre des enseignants. Mon cœur est donc plein d’inquiétude pour les générations d’enfants et de jeunes, aussi pour les étudiants universitaires.

Lors de la dernière réunion des responsables des Eglises catholiques, nous avons décidé que les centres catéchétiques seraient encore fermés pour voir comment se déroulerait le premier mois d’école. Que le Seigneur garde nos enfants de tout mal.

Je raconte tout cela, des croix et des soucis, vous expliquant dans quelles conditions «anormales» nous accomplissons notre mission. Dans ce champ de bataille, nous continuons l’accompagnement spirituel de notre peuple, de manière personnelle et communautaire, en utilisant les moyens de communication et en passant des heures et des heures par jour à téléphoner à tout le monde et à leur poser des questions sur leur situation.

A cet accompagnement s’ajoute un support matériel, réalisé à travers de nombreux projets, dont:
aide alimentaire, couverture des besoins de santé (pendant la crise Covid, un projet a été lancé pour une couverture complète de toutes les dépenses, des plus petites aux plus importantes), prise en charge de cas particuliers (personnes avec différents types de handicap), couches pour bébés, couches pour personnes âgées, vêtements pour bébés, support pour le chauffage pendant l’hiver à venir, aide scolaire mensuelle, réparation des maisons endommagées, projets de micro-crédit, soutien aux couples nouvellement mariés.

Nous fêtons la fête d’exaltation de la Sainte Croix. J’énumère les nombreuses croix qu’à Alep nous portons sur nos épaules et qui laissent toujours des marques dures et fortes sur les épaules et dans le cœur de chacun de nous, regardant ainsi l’œuvre de la Providence en nous.

Ces croix conditionnent notre vie, notre alimentation, nos mouvements et notre sommeil. Elles conditionnent aussi notre respiration, mais elles n’ont aucun sens, sans acceptation volontaire et pour une raison claire, celle de l’amour de Dieu et donc de l’amour des frères.

Nous sommes bénis alors, quand nous accueillons ces croix et les vivons en les offrant pour l’amour du Seigneur et des frères. C’est très beau, en effet, quand la croix n’est jamais vécue de manière personnelle, mais portant la croix, et partageant les conditions de notre peuple, nous le portons en soutenant les autres autour de nous, en les encourageant à faire face et à porter leur croix quotidienne.

Chers Amis,
merci à vous qui ne nous laissez pas seuls dans ce chemin de croix pour que, tout en aidant les autres, nous trouvions tout le soutien nécessaire tant dans vos prières que dans votre soutien moral et matériel.

Ainsi, portant les croix d’une manière «digne du Seigneur» qui portait la croix par amour pour nous, et grandissant dans la charité envers tous, la charité exprimée dans un service humble et constant, la croix devient notre gloire, notre fierté, notre victoire et notre salut. Je l’espère pour vous et je l’espère aussi pour notre mission franciscaine à Alep.

Bonne fête de l’Exaltation de la Sainte Croix

Fr Ibrahim Alsabagh OFM

2020-09-15T22:26:15+03:00 septembre 15th, 2020|Media|0 commentaire

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